Page 22 - Bulletin janvier 2021
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        Et pourtant, une nuit, elle réussit à se perdre.
        Ce n’était pas un soir de pleine lune et le vent faisait un tel vacarme qu’elle ne se rendit pas compte que

        le bruit de ses pas n’avait pas la même résonnance. Elle quitta son territoire.

        Elle marcha longtemps, crut reconnaître la petite maison de Lucien Aumont, fit demi-tour ; mais au lieu
        de revenir sur ses pas, elle s’engagea par mégarde, dans le petit chemin des Chabossières menant à

        Crazannes. Se croyant revenue chez elle, elle prit un sentier descendant en pente douce, parmi les
        scolopendres et les bruyères, faisant à chaque pas rouler de gros cailloux.

        Soudain, droit devant elle, elle vit une lumière, puis une autre. Essoufflée, elle pressa le pas, tenant ses
        vêtements bien serrés contre elle.

        Elle n’en crut pas ses yeux, là, devant elle, se trouvait une grotte en forme de cathédrale. Dans chaque

        niche, on avait placé une bougie. Il n’y en avait de
        toutes les couleurs. Au milieu s’élevaient les flammes

        d’un gigantesque brasier. Mais tout autour frappant
        dans leurs mains pour la saluer, elle reconnut ses enfants

        chéris. Il y avait Zaza avec sa tignasse toute frisée,
        Zipette, Jojo, Pépère, Jeannot, Manu, Soussou,

        Bouffi, Fifitte et d’autres dont l’émotion lui fit oublier

        les noms. Ils l’a firent asseoir sur une peau de mouton,
        lui offrirent des gâteaux et des bonbons ceux-là dont elle

        n’avait jamais connu que les boites. Ils se mirent à lui
        raconter des histoires, chacun en avait une. Ils riaient

        de son bonheur. Jamais de sa vie, elle n’avait été si
        choyée et aurait voulu que cela durât toujours.

        Elle était si fatiguée qu’elle sentait le sommeil la gagner, mais elle faisait des efforts désespérés pour ne

        pas le leur montrer. Elle désirait tant les garder pour elle seule, longtemps, si longtemps !! …
        Ce matin-là, il faisait froid et les promeneurs se faisaient rares. Cependant un chasseur se trouvait à

        l’affut près d’un terrier. Il avait repéré un lièvre la veille et s’était juré de ne pas revenir chez lui avant
        de l’avoir tué. Soudain, il entendit un léger froissement, pris son fusil et se prépara à tirer. C’est alors

        qu’il vit remuer ce qu’il avait pris d’abord pour un sac de chiffon jeté du chemin qui surplombait
        les carrières. Il en sortit une main, une main difforme et toute ridée. Soudain, il aperçut son visage et

        la reconnut. Il ne s’en étonna point et la raccompagna “chez elle“.
        Ce jour-là, personne ne vint la voir. C’était Noël et ils étaient tous trop occupés avec leurs nouveaux

        jouets.
                                          Jacqueline Gaud
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